Corps pliés, gestes précis du repiquage des plants de riz, répétition de la tâche, dont l’image distribue les séquences entre les trois travailleuses. Des femmes ? Les chapeaux coniques nous dissimulent leur identité, mais l’on sait par les voyagistes (qui transforment en spectacle ce labeur traditionnel, ingénieux et harassant) que la division sexuelle réserve le travail titanesque dans les rizières aux femmes de l’ethnie Lolo. La vie travaille trois fois : la vie végétale, verte, la vie de l’eau boueuse, ocre, et la vie humaine, tannée par le soleil. Les milliards de grains de riz produits sont rapportés à leur origine : le labeur des corps.

Pierre-Michel MENGER

Professeur de Sociologie au Collège de France

Photo : © Jean-Michel Turpin, Plantation du riz chez les Lolo noirs, Région de Cao Bang, Vietnam, 2015

Le travail est une activité́ néguentropique : passage du désordre à l’ordre, de l’entassement de briques à gauche aux empilements structurés au fond à droite. La tempête a bousculé ce bel ordre qu’il faut reconstruire. Le travail est vie de Sisyphe. On admire la dynamique du geste, le lancer de briques du manœuvre. « Il n’est pas de terrassier qui ne se réjouisse de son lancer de pelle » écrivait Georges Navel dans Travaux (1945). La brique est rouge. Elle garde la trace du four qui l’a générée, comme la peau de l’ouvrier, et l’eau dans laquelle il est immergé en dépit du gris de la pluie.

François VATIN

Professeur de Sociologie – Université  Paris Nanterre

Photo : © Jonas Bendiksen/Magnum Photos - Ouvrier bengali sortant les briques de l’eau après un orage, Ashulia, Bangladesh, 2010

Beauté du monde et diversité du travail humain. Ayons la sagesse de lier environnement durable et travail décent. Pour ce faire, approprions-nous, de façon vraie et raisonnable, ce patrimoine mondial que sont le droit et les normes internationales du travail. Sur tous les continents, sur les océans comme dans les cieux, affirmons que le travail humain n’est pas une marchandise. Prenons le parti en toute situation de travail, de considérer qu’il s’agit toujours de la dignité de la personne humaine

Jean-Claude JAVILLIER

Professeur émérite de droit – Université Panthéon-Assas

Photo : © Steve McCurry/Magnum Photos, Pêcheurs sur la côte de Weligama, Sri Lanka, 1995

Chaque jour, dans les coulisses obscures de nos organisations, des millions de personnes s’affairent à la tâche. Dévouées, elles produisent de tout petits riens tellement indispensables. Contribuer au traitement des patients en produisant leurs repas avec un soin parfois imperceptible. Loin des projecteurs, découvrir ce travail caché, entre ombre et lumière, est une étape dans la (re)connaissance du monde.

Arnaud TRAN VAN

Ergonome Européen, Docteur en Ergonomie – Cabinet conseil ANCOE

Photo : © Alex Majoli/Magnum Photos, Cuisines de l’hôpital, Asti, Italie, 2011

Le travail serait impossible si la vie ne trouvait plus à s’y déployer. Même ici, où tout conspire contre elle, elle échappe et prenant occasion de nous, elle s’incarne : un regard, un rien dans la posture, un angle, et elle s’engouffre. Et c’est alors toute l’affaire : l’objectif de l’appareil a-t-il capté qu’il se passe toujours quelque chose même lorsque la monotonie du geste répété semble laisser croire l’inverse ? Ou bien est-ce l’objectif du photographe qui, en saisissant un regard, un profil, a rendu possible qu’il se passe autre chose ? La vie surgit…

François HUBAULT

Maître de conférences émérite en Ergonomie

Université Paris 1 – Consultant-chercheur ATEMIS

Photo : © Jean-Michel Turpin - Usine d’électroménager, Shanghai, Chine, 2006

Mai 1917, Chemin des Dames, résonne  « Ceux qu’ont le pognon […] c’est pour eux qu’on crève ; on va se mettre en grève ».
Paris, 10 heures par jour pour 1 à 5 francs, les midinettes des Maisons de Couture confectionnent les habits de la bonne société dont les dames de Généraux « bouchers ». Elles entrent en grève, envahissent les Champs-Élysées. La mobilisation féminine gagne les usines de guerre. Le patronat concède un franc et la loi du 11 juin consacre la semaine anglaise.
La création de l’OIT s’inscrit dans des luttes perpétuées et amplifiées par les travailleuses chez les belligérants : « Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale ».

Philippe ASKENAZY

Directeur de recherche CNRS, professeur d’économie à l’ENS-PSL

Photo : © Jérôme Sessini /Magnum Photos, Atelier de la maison de couture Valentino, Rome, Italie, 2015

La robotique, l’intelligence artificielle : des inquiétudes non justifiées. C’est l’homme qui définit ce que fait le robot doté de précision mais condamné à la répétition, à des comportements artificiels sans intelligence. L’homme flou ici est pleinement créatif, il peut prendre des chemins de traverse pour faire face à l’imprévu. Le travail ? C’est ce que le standard, la prescription n’ont pas anticipé. Le défi pour les sciences du travail ? C’est de rendre acceptable l’activité avec ces dispositifs mais aussi d’anticiper leurs conséquences sur le travail de demain.

Alexandre MORAIS

Responsable Ergonomie Industrielle – Groupe PSA

Photo : © Jonas Bendiksen/Magnum Photos, Siège d’une entreprise de robotique open source, Shanghai, Chine, 2015

L’harmonie de l’instant tient, au-delà de la détermination et de la force du geste, à la synchronisation des mouvements mais aussi à l’attention des regards portés sur un point crucial qui nous est caché. La tâche semble plus qu’ardue au vu de la disproportion entre l’énormité des câbles et les mains des travailleurs mais la confiance en l’autre transparaît. Elle est le socle d’un acte collectif dont on présage l’issue efficace, donnant sens et beauté au travail.

Gérard LASFARGUES
Professeur de Médecine et Santé au travail – Université de Paris-Est Créteil
Directeur Général délégué de l’ANSES

Photo : © Ian Berry/Magnum Photos, Forage pétrolier sur la Mer Noire, Turquie, 2001

Adossés au mur, immobiles, les agents de surveillance se tiennent à la jonction de deux salles du musée. Détecteurs humains de présence, gardiens des œuvres, ils ont la nonchalance de qui n’aurait en somme besoin que d’être là et la discrétion de qui n’a en principe besoin que d’être vu. Ils regardent ceux qui regardent les œuvres, ou le vide. L’ennui à négocier, la fatigue de rester debout… La statue assise, les gardiens debout. Avec les Mona Lisa exposées, ils partagent la propriété d’être interchangeables… Attente et vigilance. Demain il y aura foule, peut-être.

Jean-François BALAUDÉ

Professeur de Philosophie, Président de l’Université Paris-Nanterre

Photo : © Thomas Hoepker/Magnum Photos
Surveillants dans une salle de la Menil Collection, Houston, États-Unis, 2000

L’instant saisi donne à voir l’ambiance feutrée d’un open space où l’on échange entre collègues, circule en toute liberté, travaille de façon décontractée.
Mais au-delà de cette apparente qualité de vie, il y a peut-être des professionnels pris dans une logique managériale individualisante qui, pour mieux les dominer, les met en concurrence, leur impose des objectifs sans cesse plus exigeants et les confronte à une politique systématique du changement. Dans ce contexte de précarisation subjective, les collègues, à portée de voix et de vue, s’épient et se contrôlent bien plus qu’ils ne se soutiennent et coopèrent.

Danièle LINHART

Sociologue du travail – Directrice de recherche émérite au CNRS

Photo : © Jonas Bendiksen/Magnum Photos, Bureaux de la Turkcell, opérateur de téléphonie, Istanbul, Turquie, 2013

La circulation des personnes et des marchandises mobilise une population de travailleurs, sédentaires ou itinérants, habitués au travail de nuit. Alors que le pompiste veille, le chauffeur de poids lourd longue distance poursuit sa course contre le temps. Rattrapera-t-il celui perdu dans la circulation ou lors de l’attente de son chargement ? Dans son relais, le pompiste l’informe, le renseigne, le rassure et… veille sur lui. Face à l’imprévisible et dans la solitude de la nuit, leurs interactions concourent au maintien de l’activité économique et du lien social.

Christophe MUNDUTEGUY

Chercheur en ergonomie – Université Paris Est

Photo : © Jean-Michel Turpin, Marc, pompiste dans une station-service, autoroute de Normandie, France, 2008

Elles se tournent le dos. Ou plutôt leur activité est organisée de telle façon qu’elles travaillent dos-à-dos. Peut-être les organisateurs ont-ils pensé que c’était bon pour l’attention. Il est vrai que la qualité des produits mérite le soin dont elles font preuve. Mais la qualité du travail n’est pas seulement la qualité des produits. Il se pourrait bien qu’ainsi courbées dans cette scrutation durant des heures, ces femmes s’abîment. Et que la qualité des produits, à la longue, en souffre aussi. On rêve que cette organisation du travail puisse être discutée avec elles et entre elles.

Yves CLOT

Professeur émérite de psychologie du travail – CNAM

Photo : © Olivia Arthur/Magnum Photos, Ouvrières au poste de contrôle qualité, Shanghai, Chine, 2012

Depuis le XIXe siècle, l’invention de l’électricité et la révolution industrielle ont très rapidement et profondément modifié les conditions de travail au travers du développement du travail de nuit. Pour ces « travailleurs de l’ombre » cette transformation génère un décalage entre le cycle jour-nuit et leurs rythmes biologiques, avec des conséquences sur la fatigue et le bien-être. Plongé dans l’ambiance lumineuse artificielle d’une aciérie, ce travailleur semble rechercher vers le haut cette source vitale d’énergie.

Philippe CABON

Maître de conférences en Ergonomie – Université Paris Descartes

Photo : © Jean-Michel Turpin, Jean-Michel, fondeur à l’aciérie de Saint-Saulve dans le Nord, France, 2008

La visite n’est pas finie. Rendez-vous au Jardin du Luxembourg

Du 16 mars au 14 juillet 2019

Itinéraires en transports en commun

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Du 16 mars au 14 juillet 2019